mercredi 20 novembre 2013

L’art, substitut du sacré

suite de l'interview du philosophe Marcel GAUCHET


Où se situent l’artiste et l’œuvre d’art au sein de cette philosophie ?


L’œuvre d’art a une vocation particulière à fonctionner comme un analogue ou un substitut des objets sacrés, qui sont au départ des objets religieux. Son statut est de sortir de l’ordinaire. Elle n’appartient pas à l’ordre des artefacts techniques communs, elle est extraordinaire au sens strict. Il y a eu beaucoup d’art sacré – l’attestation du divin, dans les lieux de culte – mais, au-delà de l’art sacré, il y a une connexion particulière de l’art – en tant que catégorie d’objets à part – qui lui donne une proximité naturelle, une vocation à accueillir le sacré. Cela explique beaucoup de choses de l’art dans nos sociétés post-sacrées : à mes yeux, il n’y a plus de sacralité, de sacré au sens exact dans le monde où nous sommes, y compris pour les croyants. Je parle bien sûr de l’Europe, on pourrait discuter des autres aires culturelles, mais en Europe je ne vois plus rien qui mérite la définition de sacré au sens strict. Sans doute les églises appellent-elles un respect particulier, davantage d’ailleurs au titre de pluralisme des opinions qu’au titre de la conviction. J’ai des doutes sur le fait que les catholiques croient encore à l’incarnation du Christ dans l’eucharistie mais c’est un vaste débat, voire un sujet de controverse !
D’une manière générale, nous avons connu un mouvement de désacralisation. Les protestants ne croient plus que la Bible, la parole de Dieu, soit sacrée. En revanche, dans le cadre de l’islam, on peut tout à fait discuter du fait que le Coran représente encore un objet sacré, habité par la présence de Dieu. Mais ce monde désacralisé n’en donne que plus de relief et de force aux objets extraordinaires de l’art, et plus précisément à l’art, substitut du sacré. Dans le monde désacralisé, il n’y a que l’art qui puisse fournir un analogue ou un équivalent du sacré.


Comment le statut de l’artiste s’est-il modifié au cours de l’histoire ?

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